Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Où Suis-Je ? Où Vais-Je ?

  • CorineTitgoutte
  • J'arrive pas à choisir entre éducateur, musicien, écrivain ou dessinateur. Du coup, je vous laisse choisir ici !
  • J'arrive pas à choisir entre éducateur, musicien, écrivain ou dessinateur. Du coup, je vous laisse choisir ici !

A voir aussi

Rendez donc visite à La Carne, mon alter ego énervé. Blog satirique, hygiénique et apériodique.

 

Pour les oreilles :


  • Doude Baolescu : morceaux piochés dans l'ensemble de mon parcours musical.
21 février 2007 3 21 /02 /février /2007 10:42
CHAPITRE QUINZIEME



Lorsque l'infirmière eut à regrets effectué l'effort de nous tolérer dans son champ de vision, elle nous admit d'un geste péremptoire dans la salle exiguë où ses consoeurs et elle, en bonnes professionnelles, passaient leur temps en débats savants sur la dernière opération des seins de Pamela Anderson, et sur les visites régulières dans leur service de célébrités de l'intelligentsia telles que Christophe Lambert ou Dalida (qui ne passe plus, Dieu sait pourquoi). 
Sur son badge, le prénom Ursula nous évoqua tant James Bond que nous lui laissâmes notre Andress et notre numéro de téléphone. A la suite de quoi nous nous mîmes en devoir de la questionner, avec toute la rouerie dont nous nous savions capables, sur ces mystérieux transporteurs routiers marqués de l'oeil rouge et menaçant.
Attention, hein ! Je n'ai pas dit que tous les routiers étaient menaçants, pas d'équivoque ni de polémique, Victor, s'il te plaît. Encore que. C'est vrai qu'en y pensant, s'ils n'avaient leurs bras gros comme des bittes d'amarrage, ils trembleraient devant notre légitime colère de futurs ultraviolés cancéreux, ces réchauffeurs routiers. Mais comme avec eux la peur donne diesel, je me vois dans l'obligation de voler au secours des générations futures en dénonçant, une fois encore et malgré les risques que cela implique pour la grâce de mes traits, l'absolue dangerosité du camionneur.

D'abord, le camionneur est fourbe. Il nous distille à hautes doses ses miasmes oléagineux ; l'or noir, dit-on ? Cela ne vaut que pour ceux qui prennent leurs poumons pour la Banque de France. Avec tout ce que nous avons respiré, mon Marquis et moi, nous pourrions travailler chez Total, comme plein gratuit en cadeau de fidélité. Le pire, c'est que ça passe - presque - inaperçu, habitués que nous sommes à faire endurer à nos narines les derniers outrages, de cheminées d'usines en eaux de toilette de supermarché.

Ensuite, le camionneur est impitoyable. La légende le dit sympa, son patron le veut rentable ; en conséquence de quoi, même les auto-stoppeuses les plus court vêtues n'ont plus droit à ses faveurs. Ses calendriers illustrés suffisent à ses maigres besoins ; de toute façon, suivant la tendance des pays nantis, le routier, de gros est devenu hénaurme, si bien qu'en plus de ses pieds, son petit organe rabougri a également disparu de sa vue. Il suffit que sa main s'aventure à l'effleurer pour qu'il se croie en bonne compagnie.
Mais surtout, le camionneur est pressé. Comme tout le monde. Seulement tout le monde ne pèse pas ses trente-huit tonnes, et lorsqu'ils se pressent à plusieurs sur les routes engorgées, les mémères en Mini, les moutards en moto et les Jackys en Fuego font moins les malins et paniquent, à tel point que l'honnête homme qui ne demande qu'une voie de circulation, et encore, pas très grande, et un minimum de courtoisie dans le doigt tendu, se retrouve comme un fauve acculé, contraint au slalom géant pour éviter de froisser la précieuse tôle roumaine de sa Logan achetée à crédit.

En plus, c'est idiot : si le routier veut être à l'heure, il n'a qu'à prendre le train. C'est pourtant simple, non ?


*

*      *


Or donc, voici en substance ce que dit l'infirmière : l'oeil inquiétant était le logo d'une grande firme de culture d'organes oculaires clonés, la Cornée & Bifs. Elle approvisionnait une bonne partie des hôpitaux du monde et d'ailleurs en globes, rétines, cornées, iris et nerfs optiques. Les golden boys de toutes les places boursières lui faisaient les yeux doux, et le moindre éternuement discret de cette multinationale enrhumait bruyamment l'ensemble de la finance planétaire. Vous pensez : siège social sur un yacht battant pavillon bolloréen, comptes en banque dans la plupart des paradis fiscaux, succursales dans tous les pays où la main d'oeuvre coûte moins cher qu'un Carambar... Une entreprise, donc, tout à fait respectable ; les dirigeants européens ne se privaient d'ailleurs pas d'en saluer - en toute discrétion, sans doute pour n'en pas froisser la modestie - les nombreux mérites.

Bien sûr, quelques grincheux tentaient de temps à autres de salir l'image de la firme. Mais quelle meilleure preuve de son excellence et de sa haute tenue morale que ceci : les actionnaires de la Cornée & Bifs sont pour la plupart de proches amis de nos dirigeants, ministres et députés, dont la réputation de probité n'est pas à mettre en doute ! Alors ?


Alors rien, nous n'avions de toute façon pas compris grand-chose aux explications absconses de l'infirmière toiseuse.

Nous subodorions juste qu'il allait nous falloir en découdre avec cette bande d'oculés.


Partager cet article
Repost0
20 février 2007 2 20 /02 /février /2007 21:28
CHAPITRE QUATORZIEME


Je demanderai ici à l’éventuel éditeur de bien vouloir publier cette partie du livre en braille, étant donné que ce passage est tout entier dévoué à la cause des aveugles ainsi qu’aux courageux héros luttant contre le destin, aveugle lui-aussi, pour redonner à ces hères pas forcément pauvres, la vue qu’il leur prit cruellement (le destin). Hum.
Finalement, non, laissez tomber, les aveugles ont suffisamment de soucis comme ça.

Vous pouvez vérifier, l’hôpital (enfin, l’un des hôpitaux) de Dijon est également près de la fac, c’est vous dire si ce roman est bien fait. Pour nos pieds, je veux dire.

Ce qui est moins sûr, c’est que le service de chirurgie des yeux (ahah !) se trouve au quatrième étage.
C’est néanmoins là que nous nous rendions, sur les indications de la dame préposée à, et pour honorer les conventions des œuvres de fiction qui tiennent tant à ce que les personnages, fussent-ils des services de chirurgie oculatoire, fussent maquillés afin que leur ressemblance avec des trucs existants fusse purement fortuite pour le bon plaisir des gens qui n’aiment pas se reconnaître ailleurs que dans leur petit miroir narcissique à la lueur malsaine de leurs matins blêmes. Je tire à la ligne pour vous faire oublier que j’ai écrit trois fois “ fusse(nt) ”, ce qui est beaucoup pour une seule phrase, tous les instituteurs de campagne vous le diront.

Nous parvînmes donc après l’ascension au seuil d’un vaste hall linoléé (on dit bien carrelé, non ?), exhalant l’éther par une porte battante double qu’hardiment nous franchissâmes. Nous reprîmes rapidement notre souffle après avoir, en une phrase seulement, monté quatre étages par les escaliers et ouvert une porte, le tout au passé simple, ce qui tient de l’exploit.
Le hall était le théâtre d’une agitation incessante ; des personnes en blouse blanche couraient à la suite de personnes en lunettes noires, ce qui nous fit tout de suite penser à une soirée V.I.P. chez Régine ou à Saint-Tropez, quand les brutes thérapeutiques des maisons de retraite huppées pour stars finissantes viennent récupérer manu militari leurs pensionnaires en bamboche, à dix-huit heures pour la soupe.
Après avoir cherché quelques instants Bardot des yeux, au cas où, pour lui balancer du mou de veau en travers de la gueule, nous nous mîmes enfin en quête d’une aimable infirmière qui eût pu nous renseigner sur l’étrange et inquiétant symbole qui avait mené nos pas incertains (mais libres d’ampoules, merci) jusque là.

Justement, sur notre droite, une porte vitrée où brillait une petite plaque dorée marquée “ bureau des infirmières ” nous indiqua fort justement le bureau des infirmières, comme quoi le Port-Salut n’a rien inventé.
A l’intérieur, ces héroïnes camphrées bourrées d’éther et de savoir médical, entre autres, étaient tout occupées à leur rude combat contre le destin aveugle dont il est question plus haut, mais je vais finir par me répéter si je n’y prend pas garde. Rude combat (vous voyez ?), donc, où ces combattantes, armées seulement de leur courage, et de quelques seringues affûtées tout de même, on n’est pas chez les scouts ici, tâchaient de guérir une foule anonyme d’aigris pointilleux sur tout, critiquant de la soupe insipide de ces endroits jusqu’à la manie pourtant sympathique des personnels soignants de vous appeler par le nom de votre maladie. A la décharge de ces rabat-joie, il est vrai que, cécité faisant loi, l’humeur n’est probablement pas à l’euphorie quand on souffre à l’œil (la santé n’ayant pas de prix).

Ne croyez pas que nous suivrons l’habitude de vous placer un laïus sur le thème en cours comme nous avons pu le faire à propos de l’université, des supermarchés, des architectes ou des ingénieurs ; loin de nous l’idée de railler Asclepios en son antre, des fois qu’il nous y garde, le con. Non, l’Hôpital est trop digne, avec ses nobles chercheurs ès verrues plantaires, ses médecins sachant le latin bien mieux que la politesse, ses infirmières pas polissonnes pour un sou qui font un pied de nez à l’imaginaire populaire et salace des maniaques de l’uniforme (et oui, tout se perd, ma bonne dame, jusqu’aux bas seuls sous une blouse échancrée ; aujourd’hui, il suinte autant d’érotisme d’une infirmière que de sueur dépourvue d’E.P.O. d'un sportif, l'un comme l'autre du même coup devenant arguments rédhibitoires à la libido) ; ses aides-soignantes portugaises, ce qui est loin d’être un défaut, qu’on cantonne aux tâches subalternes par manque de personnel alors que leur talent supplante bien souvent les balbutiements thérapeutiques de jeunesses sorties des écoles, diplôme de carton en poche ; et tous les autres personnels administratifs, de service, d’entretien, qui poussent la sollicitude jusqu’à n’afficher que rarement, en lieu et place d’un vague mépris pour l’être faible et couché distillateur de germes malsains, le sourire de commisération et de circonstance qu’ont les cons devant plus malheureux qu’eux.
Ô, vision scabreuse de ces sauveurs d’une humanité imbécile dont ils sont les bien dignes fleurons !

Non, nous ne parleront pas non plus des patients ; ni ceux qui, trop pauvres pour avoir la télévision dans leur dortoir encombré, s’occupent comme ils peuvent en emmerdant sans relâche les braves femmes reliées au petit bouton qu’ils tripotent comme un puceau tripote un clitoris, trop vite et très mal ; ni ceux qui sont trop riches pour imaginer un seul instant qu’on ne puisse les guérir dans l’heure, se préparant déjà sur la table d’opération à signer un chèque fouisseur de trou de sécurité sociale comme on passerait à la caisse de chez Fauchon, et exigeant par la vertu d’icelui un service qui convient à leur rang.
Ô, vision apocalyptique de tous ces emmerdeurs couchés crachant à la médecine debout leurs exigences futiles de grands malades de l’existence !

L’hôpital certes vivrait mieux sans malade.

Mais voilà, vous nous avez eu, d’accord, nous déblatèrâmes, avec la mauvaise foi constante qui nous honore, sur l’hospice, alors que, si nous étions véritablement honnêtes, nous aurions dû fustiger quelque Ministère de la Santé, voire quelque Secrétariat d’Etat aux Personnes Âgées. Mais, en toute franchise : n’avons-nous pas été suffisamment témoins de leur ridicule lors d’une récente canicule qu’ils soignèrent à coups de climatiseurs propices à la prochaine éclosion épidémique de pneumonies doubles ? Ne se sont-ils point suffisamment couverts d’opprobre quand, non contents d’être de droite, honte à eux, ils poussèrent le cynisme inhérent à leur bord jusqu’à conserver le polo Lacoste en causant à la télé alors que tant de jeunes banlieusards désespèrent de trouver des vieilles suffisamment pensionnées pour s'offrir la marque au crocodile ?
La rue ne gouverne point, d’accord. Laissons-la donc renverser les têtes qui s’imaginent gouverner à sa place ; que dis-je, laissons-la ? Non, poussons-la, car la rue, dans ses revendications légitimes, devrait être poussée un peu plus loin que la place de la Bastille, joli coin de Paris certes, mais politiquement aussi efficace qu’un discours de Mesrine au volant de sa voiture pendant son arrestation. La démocratie en France ne fut, en fin de compte et depuis De Gaulle, que l’action dérisoire de remplacer le roi Louis par le roi des cons. Méditez un peu ceci, et vous aurez toute légitimité pour parler de démocratie américaine.


*
*    *

Tandis que revinrent les petites étoiles chéries, nous frappâmes donc à la porte vitrée du bureau des infirmières.
Quelques éons plus tard, une blouse blanche vint nous ouvrir sans un regard. L’infirmière est généralement petite, si bien que, même avec les semelles compensées livrées avec la blouse, elle ne peut signifier sa hauteur en toisant ; ne lui reste, pour montrer son mépris au profane, que la solution de regarder ailleurs.
Partager cet article
Repost0
20 février 2007 2 20 /02 /février /2007 10:41
CHAPITRE DOUZIEME


Non, on ne dira rien de ce nom de chapitre falot et plat. Il ne mérite même pas qu’on s’y arrête, c’est à se demander si nous n’aurions pas dû nous rendre directement au prometteur chapitre treize auquel conduisait si naturellement l’occultiste des yeux précédemment évoqué. D’ailleurs, chiche. On le fait.



CHAPITRE TREIZE
Tremblez mortels car c’est par treize fois que vous serez pendus, trahis, décapités, molestés, violés, fist-fuckés, tire-bouchonnés et râpés à grands coups de lime-fast.


Ha ! Ca pète, hein ?


Or donc, sur le pas de l’oculiste, ou en tout cas sur celui de sa porte, nous respirâmes un bon bol d’air chargé d’oxydes en tous genres, très bons pour le teint si l’on est né schtroumpf ; tout soudain, le commerçant qui avait fini par fourguer des verres pour presbyte à Cupidon et des vers d’Eluard à la Justice pour l’emmerder, jaillit prestement à notre suite en braillant (normal, pour un oculiste) que “ au voleur ” et toutes ces sortes de choses.
Nanti de sa canne blanche et de vingt-trois paires de lunettes de soleil toujours sur son pif qu’il n’avait point payées, le Marquis arrêta pile son mouvement, tendit les bras devant lui et pris l’air égaré, comme il savait si bien le faire, fouillant le vide de ses mains à la recherche d’un hypothétique salut que jamais il ne trouva, bonjour monsieur Vincent.

Avant que l’esclandre fût constatée par la maréchaussée et transmise à qui de droit, j’arrachai d’un geste souple les lunettes de mon compère, fulminant contre le Commerce indigne ôtant à l’Aveugle les attributs de son bon droit, et les tendis rouge de hargne au plaignant. J’attaquai le couplet sur le capitalisme sauvage plus soucieux de profits que de bonheur populaire quand mon Marquis s’écria :
“ Je vois ! ”.
Nous en restâmes comme deux ronds de flan, l’oculiste et moi. Surtout moi, en fait, car j’imite très bien le rond de flan. Le Marquis, que j’imitai bien vite (aussi), se jeta à genoux, mains jointes, et commença à louer le Seigneur, ce qui ne faisait pas les affaires de l’opticien dont la location de seigneurs, quels qu’ils soient, n’était pas le rayon. De quel Seigneur s’agissait-il, Lui seul le sait sans doute à condition d’être capable de dénouer l’écheveau tortueux des pensées du Marquis. 

Devant le miracle, binoclesman nous abdiqua la canne blanche que nous voulions conserver en cas de rechute (il choit beaucoup, dans cette aventure, notre Marquis, ne trouvez-vous pas ?), mais il conserva par-devers lui avec cette avidité malsaine qu’on imputait aux juifs, mais qui tout compte fait n’est que l’apanage des cons, toute religion confondue, les quelques paires dont il nous accusait du rapt. Je le remerciai tout de même encore, non seulement pour la canne, mais aussi pour m’avoir fourni un substitut honorable à “ enlèvement ” qui me permettra par la suite d’éviter de vous reparler de kipnad… de kinadp… et merde.

Puis, bon prince tout de même, il nous lâcha :
“ Votre œil, là, il me dit quelque chose. ”
Après m’avoir laissé impitoyablement transpirer un instant dans le vain espoir de me regarder l’œil à l’aide de l’autre pour tenter de comprendre ce qu’il voulait dire, il reprit :
“ Non, l’œil, sur la feuille de papier, celui que vous m’avez montré à l’instant… Je l’ai déjà vu quelque part, j’en suis sûr. Ah ! J’y suis : un camion de livraison, lorsque je travaillais à l’hôpital, en chirurgie ophtalmologique. Vous devriez aller voir là-bas. ”

Salaud. Comment voulait-il que nous demandassions le service de chirurgie optalpho… otaphomolo… ?
Partager cet article
Repost0
19 février 2007 1 19 /02 /février /2007 21:41
CHAPITRE DIXIEME (mon Dieu, comme le temps passe !)


Or donc, l’œil était, non dans la tombe mais sur le papier, et regardait non pas Caïn, ni caha, mais la face rosie par le ridicule de votre humble serviteur. Habilement grimé sous l’aspect de formes géométriques simples, c’était bien un œil qui nous regardait depuis son support de vélin. Mais de quoi pouvait-il bien s’agir ? Symbolisait-il quelque Big Brother omniscient prêt à briser nos vies au moindre écart de comportement ? Etait-ce l’œil du tigre qui annonçait les pains qu’on allait se prendre sur la tronche ? Ou bien encore, l’œil de bronze qui nous rappelait à notre condition de trous du cul ?

Sans vouloir nous faire mousser, il faut bien avouer que nous n’en sommes qu’au chapitre 10 et déjà vous avez pu être témoins : d’un peu d’érotisme de bon goût, d’exotisme torride (ah ! les gazelles…), d’un coup de théâtre, de mystères étranges et d’habiles déductions. On ne pleure pas sur la marchandise, nous autres, et si après le roman de gare nous avons inventé la littérature charcutière, vous ne pourrez pas dire que comparé au pâté de foie, ça fait cher du kilo. Honnêtement, l’intelligence d’un bouquin de Brigitte Bardot et la pertinence d’un de B.H.L. (le Bazar de l’Hôtel de Lille) pour le prix d’une place de ciné où on joue le dernier Van Damme, n’allez pas dire qu’on vous vole !

Nous décidâmes donc de nous rendre chez l’opticien (c’était un canice, sans doute) le plus proche. En effet, quelle meilleure piste pour un œil, quel meilleur prétexte aux jeux de mots les plus débiles qu’un oculiste ?

CHAPITRE ONZIEME (eh oui, déjà)


Par chance ou convention romanesque, l’opticien susdit n’était pas très loin, épargnant, à nous les douloureuses ampoules aux pieds que nous avons fort délicats, et à vous l’oiseuse description d’un trajet interminable qui, s’il eût pu nous permettre d’étaler un peu plus notre verve géniale pour tirer à la ligne, n’aurait finalement contribué qu’à rendre aux plus insomniaques lecteurs un sommeil précaire et précoce. Bénéfice indigne s’il en est puisque la France, se targuant d’être consommatrice boulimique de somnifères et autres barbituriques (qu’elle en crève !), eût souffert de cette déloyale concurrence à l’égard des laboratoires pharmaceutiques qui ont d’autres chats à fouetter et d’autres toubibs à arroser de leurs bienfaits pour qu’ils vantent sur ordonnance les vertus à la mode de la dernière poudre de Perlimpimpin tout droit sortie d’usines rhône-alpiennes et cancérigènes.

L’oculiste (je ne m’en remettrai pas…) était sis donc au coin de la rue, entre un bistrot qui servait l’absinthe du temps où les vrais poètes avaient à cœur de devenir, avec une obstination qui tient du génie, de vrais loques aveugles et bavantes (et maudites, évidemment), et un magasin de télévisions (qui s’est installé plus tard, en lieu et place d’une imprimerie en braille).  Autant dire que le marchand de binocles était visionnaire, et riche quand bien même il n’était point ailleurs.
L’aveugle n’étant point forcément sourd, c’est une clochette au timbre d’argent (car l’argent appelle l’argent, adage de marchand, de lunettes ou autre) qui signalait au boutiquier l’entrée de portefeuilles dans son boui-boui (blecture bfavorite bdu bMarquis).
Deux clients déjà nous y avaient précédés.

La boutique disposait d’un éclairage particulier, lumineux en vitrine où s’exposaient à tous les passants des culs de bouteille de soleil et des Ray-Ban hors de prix, et plus sombre là où se trouvait l’inévitable tableau plein de lettres qui serait plus passionnant à lire que le présent ouvrage si les premières lignes, énigmatiques, ne demandaient pas tant d’efforts. Au tableau, justement, en guise de cancre, l’un des clients ânonnait crânement en les égrénant ces lettres diagnostiques :
“ M… E… R… D… A… pardon, E… A… C… E… L… U… I… Q… U….I… L… I… T…”, etc.
Il était petit, joufflu, fessu, moitié à poil, moitié à plumes, adossé d’un carquois et portant l’arc en triomphe. Une main devant un œil, le droit crois-je me souvenir, le gauche désorbité à force de suante concentration, il tentait de lire la ligne du bas, la plus grosse. C’était l’allégorie la plus ratée de toute l’histoire de l’amour.
Attendant patiemment son tour devant l’amoncellement inconcevable de montures, de verres, de monocles qui tenait lieu de mur du fond, l’autre client, une cliente pour être sexuellement précis, frimait avec sa grande épée dans une main et une balance (peut-être réchappée des usines Corleone, plus vraisemblablement de Testut après Tapie) dans l’autre, en minaudant devant une paire qui vraisemblablement lui donnerait une allure de banquière. On se fera une idée plus juste de la Justice en étudiant avec attention la vie et l’œuvre du Roberval qui est dans le dico, bossez un peu, enfin, merde, quoi !
Mon Marquis et moi flânions, en attendant que le digne praticien daigne nous prendre en charge, au milieu de présentoirs qui nous jetaient quelques centaines de regards intrigués et réfléchissants (notamment en ce qui concerne les lunettes miroir, accessoire indispensable au Jacky pour apprécier pleinement les couleurs criardes de sa Fuego déplorable).
Mon noble compagnon s’essayait au m’as-tu-vu ; après superposition de quelques dizaines de Ray-Ban, lui ne voyait plus rien et commençait à heurter de ses bras gigantesques les rayonnages encombrés, jetant pagaille en la boutique et verroterie au sol. Devant le désastre, l’opticien interrompit Cupidon, le priant d’attendre que l’affaire fût réglée. D’ailleurs, l’Amour ne se fait bien qu’une fois l’affaire réglée, sinon la Justice vous le reproche. Je vous jure que ces personnages secondaires n’étaient pas là au départ pour justifier cette saillie grotesque et répugnante, mais que voulez-vous : je les avais sous la main, il fallait bien qu’ils servissent, compris ?
Laissant donc posé sur son cul Cupidon, le boutiquier se précipita près du Marquis qui entre temps avait chu au beau milieu d’une pluie correctrice et solaire (oui, oui, une pluie solaire ; oxymore, s’il vous plaît… les figures de style pleuvent également en un crachin discret mais compact). Toujours affublé de ses dizaines de montures, mon fidèle compagnon agitait ses bras en tous sens en criant qu’il était aveugle, qu’il ne voyait plus rien, que tout était noir, enfin bref, en hurlant un stock de paraphrases céciteuses démontrant l’étendue de son imagination littéraire, alarmant derechef l’occultiste des yeux. “ Laissez-moi voir ça ”, dit-il, prouvant qu’au moins lui avait l’alarme à l’œil.
Détrônant Amour, il installa le Marquis sur le tabouret inconfortable face au tableau et l’enjoignit à une gymnastique orbitale. J’étais inquiet. D’une part, la myriade et demi de lunettes était toujours sur le nez du Marquis, si bien qu’il n’y voyait rien. D’autre part, j’avais peur qu’une lettre traître et inconnue de lui plongeât mon compagnon dans une expectative qu’à coup sûr le marchand interpréterait à sa façon de marchand, c’est-à-dire en y trouvant prétexte à une vente, inutile mais dilapidaire, sous le nez inexpressif de la Justice qui n’arrêtait pas de donner des coups d’épée dans l’O du tableau, ajoutant à la difficulté de lecture de l’infortuné. C’était prendre Justice à bien contre-emploi, car ce n’était pas là manière de la rendre au Marquis.

C’est donc sur ce constat que la rage me prit. Laissez-moi digresser pour vous toucher (en tout bien tout honneur) un mot de la façon dont la rogne peut prendre un Duc. Cela monte doucement de la plante des pieds jusqu’au périnée où cela commence à redescendre plus rapidement aux genoux. L’un d’eux, s’étant historiquement épanché dans un accès synovique après un choc qui m’avait laissé tout pantelant, présentait une rotule assez flottante que la colère faisait vibrer, et gigoter, et blobloter à tel point que le mouvement se propageait maintenant jusqu’au menton qui rendait sensible au témoin le tremblement fiévreux d’une mâchoire, certes inférieure, mais propre et digne tout de même. Puis, après ces manifestations apocalyptiques d’une rage folle et meurtrière, cela partait comme c’était venu, c’est-à-dire par mes pieds qui, profitant de l’occasion, bottèrent en touche le postérieur maigrichon de l’opticien. Le praticien à terre, j’opportunisais le geste ferme et décidé de lui mettre sous le nez le dessin du Marquis qui figurait l’œil tragique signant le kip… le kin… l’enlèvement d’Euphoria.
“ Il va falloir m’expliquer ça ”, lui dis-je en toute bonne foi puisque je n’y comprenais effectivement rien.
“ C’est… c’est un œil, non ? ”, balbutia-t-il pitoyablement, frissonnant au froid contact de ma rage glacée, deux boules s’il vous plaît.

Je le remerciai puis partis.

*
*     *

Je revins sur mes pas dans un bruit argentin (c’est pas un tango, c’est la sonnette, bande de cloches). J’avais oublié mon aveugle, que je pris d’une main alors que de l’autre, méprisant, j’embarquais comme trophée une canne blanche pour combler le handicap de mon dévoyé Marquis. La tête haute (mais les mains sales), nous sortîmes de l’antre du marchand du Temple, en nous étonnant nous-mêmes ne n’avoir que si peu distordu verbo-ludiquement l’amusant terme d’oculiste, si tant prétexte à des potacheries faciles mais défoulatoires qui n’auraient sans doute fait rire que nous mais c’est déjà ça. Respirez, soufflez, chapitre suivant s’il vous plaît.
Partager cet article
Repost0
19 février 2007 1 19 /02 /février /2007 09:22
CHAPITRE NEUVIEME


Or donc, c’est nantis d’un mégot de cigarette, du souvenir d’un affreux dessin tracé de rouge sang et de la ferme conviction que nous n’en resterions pas là que nous arrivâmes au rez-de-chaussée et au chapitre neuf. Le temps nous était compté, aussi boudâmes-nous la porte à révolution qui tout à l’heure faillit décapiter le Marquis et rejoignîmes-nous la rue par l’entrée de service, qui en l’occurrence pouvait tout aussi bien servir de sortie (dit-on “ sortie de service ”, parfois ?).  
Nous étions tournés tout entiers vers l’espoir de retrouver Euphoria et vers la fac où, pensions-nous, nous allions trouver des explications sur ce mystérieux dessin, en nous étonnant nous-mêmes d’avoir réussi à placer trois zeugmas en trois phrases, record honorable qui eût ravi Queneau, l'homme qui faisait dans l'OuLiPo.

La Bibliothèque Universitaire de Lettres et Sciences Humaines était un bâtiment de style post-industriel dépassé, composé de deux corps qui faisaient penser à l’œuvre en Duplo d’un autiste profond et inspiré (comme Plamondon : “ J’aurais voulu être un autiiiiiste ”). Qu’on donnât à ces malheureux psychotiques la possibilité d’accéder à une carrière d’aussi haute volée que celle d’architecte emplit mon cœur d’aise et d’espoir pour le Marquis et moi : rien n’était perdu, notre avenir n’avait qu’à bien se tenir ! Architecte… je me voyais déjà tracer les plans de la Très Très Grande Bibliothèque Jacques-Chirac (celle où seront entreposées les archives judiciaires notamment), apporter un soin tout particulier à suivre l’exemple de mes illustres prédécesseurs qui ont poussé leur art et leur génie jusqu’à rendre la Grande Bibliothèque François-Mitterrand tout à fait inapte à ses fonctions premières, c’est-à-dire avoir une hydrométrie et une luminosité propice à la conservation d’ouvrages inestimables. Ô, grands architectes à l’idée merveilleuse de placer les réserves au dernier étage pour qu’en cas d’incendie, aucun de ces précieux tomes n’échappe à la morsure purificatrice du feu sacré, pour que périsse le savoir futile des humains dans un joyeux autodafé sur les bords de Seine ! Ô, traceurs de rêve, est-ce un hasard si Bouygues, patron d’une chaîne de télévision plate comme un mur de ciment et digeste comme un reliquat de bétonneuse, participa à la construction de ce monument à la gloire de feu l’admirateur du Maréchal, ce bâtiment si complice de l’édification de la gloire de la petite lucarne dont lui-même tient les rênes (Bouygues, pas le Maréchal… encore que) ? Ouroboros n’a pas fini de se mordre la queue.
Et mon Marquis, que deviendra-t-il ? Ingénieur, gagè-je… de ceux qui dans la cité de la soie conçurent entre deux parties de belote et trois verres de beaujolais son métropolitain ; celui-là même dont, à une station dont je tairais le nom, la porte d’un wagon s’arrête pile, empêchant ainsi les voyageurs marris d’en descendre, devant un des piliers soutenant le plafond au-dessus duquel le Rhône s’étire paresseusement dans son lit en rêvant de rejoindre celui de la fougueuse Garonne. Merveilleux métier en vérité, merveilleux monde que celui d’ingénieur, où ce sont les trains qui doivent se plier aux fantasques dimensions des ponts.

Une légitime appréhension nous prit lorsque nous pénétrâmes comme on la viole la bibliothèque vaste et silencieuse. Ce silence fut instantanément rompu par l’entêtante mastication du Marquis sur son bout d’hévéa ruminogène et le bruit de mes semelles en vrai plastique sur le linoléum astiqué jusqu’à ce que mort s’ensuive par quelque ancillaire I.A.T.O.S.S. de fonction, Portos d’origine et Aramis pour que du haut Dumas nous voyions la terre.
Nous marquâmes une pause impressionnée (mais sans les trois p’tites étoiles, il ne faut point abuser des bonnes choses) dans le vaste hall de cette bâtisse dédiée au savoir ; il était orné de plantes vertes faites du même plastique que mes semelles, et baigné d’une demi-obscurité propice à l’intense réflexion des savants qui ronflaient sur leurs encyclopédies ouvertes à la page des tableaux de nus.
D’une démarche rendue souple par le bruit amusant de nos pas, nous nous rendîmes en gloussant jusqu’au bureau de l’accueil où officiait une mégère que nous allions tenter d’apprivoiser. L’œil bas et glauque, la tête penchée d’un air de sodomite qui débute, elle darda son regard d’abord sur mon compère puis sur moi, et prit le parti d’attendre que nous entamions la conversation.
“ Bonjour…, eus-je à peine le temps de proférer avant que la vieille ne me foudroyasse du regard en désignant la pancarte fluo ornée d’un tonitruant “ Chuuuuut ! ” écrit en caractères gras, voire obèses, sise au-dessus d’elle. Je repris plus bas :
- Madame… ”
Le débris de bibliothécaire se jeta sur moi avec une vélocité étonnante compte tenu de l’arthrose qui ne devait pas manquer de la miner, et saisit mon col de ses deux poings serrés, collant son visage flasque et fripé au mien, si altier que j’en tombe de ma chaise. Ses joues rubicondes et ses yeux exorbités derrières les triples foyers de ses lunettes indiquaient en elle une colère discrète mais mal contenue. Après m’avoir secoué comme un quelconque cocotier dont ne tomba qu’une noix de mépris teinté d’effroi, elle m’indiqua d’un index rageur une autre pancarte, plus grosse et plus fluo encore que la première, et située au-dessus de celle-ci, ou vitupérait un “ Silence ! Toute parole est interdite ! ”

Pendant ce temps, le Marquis s’était saisi d’une feuille de papier et d’un stylo rouge, et dessinait assis par terre. Quand la vioque me lâcha dédaigneusement, il lui montra le résultat de ses gribouillis. C’était l’étrange dessin que nous avions découvert sur la porte du bureau d’Euphoria. Intérieurement, je saluai la vivacité d’esprit toujours renouvelée du Marquis qui m’étonnait encore, après tant de premières années de fac communes. 
“ Voilà-t-il pas que c’te grande andouille me fait de l’œil à c’t’heure, mima la concierge savante.
- De l’œil ? ” singeai-je, une lueur d’incompréhension dans le mien.
Elle désigna d’abord la feuille, puis le globe gélatineux, jauni aux entournures et variqueux vers l’iris, qui lui servait d’œil, et recommença avec application, montrant alternativement le dessin du Marquis et son verre de lunettes, jusqu’à ce que son coude, fatigué des va-et-vient, laissât tomber des gémissements grinçants qui me prouvèrent que l’arthrose que j’avais pressentie était à l’œuvre. J’en étais encore à m’émerveiller de cette remarquable intuition quand le Marquis me poussa du coude et imita avec énervement le manège du tromblon qui nous avait abandonnés avec un soupir résigné salué par un “ Chuuuut ” assourdissant et général de la bibliothèque.
“ Quoi, mon Marquis ? Arrête un peu tes âneries, tu vois bien que je réfléchis ! mimai-je à mon comparse avec moult gestes éloquents. Il me saisit alors par le col et m’entraîna brutalement à l’extérieur du bâtiment.
- Un œil ! Un œil ! Un œil ! ” cria-t-il une fois dehors, témoignant qu’il avait des Lettres, même si c’étaient les plus malheureuses du père Racine.
J’en jetai un sur le papier qu’il désignait en criant et gesticulant, puis je me frappai le front d’une paume vengeresse.
Quel con !
Partager cet article
Repost0
18 février 2007 7 18 /02 /février /2007 17:10
CHAPITRE SEVEN (sept péchés capitaux, sept façons de rire mou)


Or donc, pour tout timides que nous étions, nous ne nous fîmes pas prier pour rentrer dans l'antre si convoitée de notre dulcinée poil au nez. Ô lecteur, tu dois te consumer d'impatience en attendant la description de la suite d'Euphoria. O.K. Tu vois ta chambre ? Ben c'est pas ça. Tu vois Disneyland ? Tu réchauffes. Tu vois Jurassic Park ? Ben tu remplaces les dinosaures (de pointe) par des soubrettes lubriques et tu pourras avoir un vague embryon de début de foetus de commencement d'aperçu de brouillon d'idée de la splendeur du lieu. C'est qu'ils ne sont pas nombreux à avoir pu rentrer et ressortir de ce logement, alors, ô lecteur, ne nous en veux pas si nous ne t'en disons pas plus et maintenons (marquise de, 1635-1719, élevée dans la religion calviniste, elle se convertit au catholicisme et épouse le poète Scaron ; veuve, elle fut chargée de l'éducation des enfants de Louis XIV et de madame de Montespan, et, après la mort de Marie-Thérèse, épousa le roi. Elle exerça sur lui une influence notable, notamment dans le domaine religieux. Merci Robert) le secret sur cet endroit mythique et mystérieux.


CHAPITRE HUITIEME


Or donc, Euphoria nous invita à aller nous rafraîchir dans sa salle de bain après cette longue route, nous enjoignant de la rejoindre, sitôt que nous aurions fini, dans son cabinet.
“ Oh ben non, alors ! C'est scabreux, ça ! Pas dans les cabinets ! Vous parlez d'un romantisme, vous alors ! ” s'écria le Marquis, la mine sale, défaite.
Nous nous dirigeâmes donc à grands pas assurés tels des gazelles (et revoilà les gazelles, tiens) gambadant sur les vastes steppes asséchées sous le soleil d’Afrique en plein mois de décembre alors qu’à la même époque dans l’hémisphère boréal en Islande moult Sügarkubs manquent de Björk pour se réchauffer un peu l’espace central, et le reste aussi un peu quand même, en direction du Marineland à usage personnel tenant lieu de salle de bain à cette suite somptueuse. Et merde à Proust : on a réussi à faire une phrase plus longue et plus tordue que les siennes, mais en tout cas, elle montre bien combien était long ce corridor qui menait presque droit (nous ne nous sommes perdus que quinze fois) à la porte de la salle de bain, qui était ornée en guise de heurtoir d’une tête de minotaure avec un anneau dans les naseaux. J’avais déjà vu ça quelque part.
Je me retournai alors pour observer la réaction du Marquis, et quelle ne fut pas ma surprise en remarquant que celui-ci était déjà torse nu, et brandissait un glaive, toisant avec une fureur héroïque la tête bovine du divin bipède !
“ Je suis Thésée, fils d’Egée, roi d’Athènes, et je suis venu te vaincre pour délivrer ma patrie du joug de ton infâme protecteur et beau-père Minos ” criait-il, “ et Ariane est au bout du fil (elle connaît pas les portables, l’antique !), qui tendrement attend mon retour vainqueur (il  montrait les restes épars de son pull-over -tiens, ça me rappelle une blague idiote, mais passons-) ! ”.
Et le Marquis se jeta aussi brutalement que violemment sur l’huis déjà entrouvert. Il eut le temps de faire une quarantaine de pas, sur un sol carrelé de mauve et glissant, avant d’étaler son mètre quatre-vingt-quinze et demi dans le bidet qui réussit presque à l’avaler. Je me précipitai alors que mon pauvre ami se débattait dans le tourbillon violent qui l’entraînait inexorablement vers les abîmes insondables et nauséabonds des égouts gnaffiés.
Ma main secourable le sortit de cette situation périlleuse et tragique avec la rapidité d’une expulsion de Maliens.
Le Marquis ressortit du siphon par lequel il était déjà à demi happé, sans ses chaussures (ni ses chaussettes, d’ailleurs : bon débarras), mouillé comme Monica Lewinsky dans l’affaire Clinton (ou l’inverse, je ne sais plus bien qui était mouillé).
Je m’ablutionnai le visage et les pieds, tandis que le Marquis, lavé pour les dix prochaines années, boudait dans un coin. Une fois que je l’eus retrouvé (il y avait environ cent vingt-six coins, il eut fallu que vous le cognassiez) nous repartîmes en sens inverse, suivant les débris du pull du Marquis, ainsi que les indications des panneaux fléchés parsemés tout au long du couloir, qui indiquaient : “ Pour pratiquer la fornication dans la joie avec l’agent Euphoria, suivez les flèches rouge et jaune à p’tits pois ”.

*
*   *

(Dites-nous quand on abuse avec les étoiles, hein ?)

Stupeur et tremblements, comme dirait l’Amélie (pas la Poulain allumée, ni la Mauresmo musculée mais la Nothomb givrée). Lorsque frais nous quittâmes la salle de bain, et moins frais nous atteignîmes le bout du couloir jusqu’au salon où donnait la porte du cabinet de la belle, nous nous rendîmes compte tout de suite, à la cigarette qui finissait de se consumer dans le cendrier, qu’il se passait quelque chose. La porte du bureau de la belle espionne était entrouverte, et dans l’atmosphère flottait un parfum de mystère que jalouserait Jean-Paul Gaultier qui est un marrant quand il est en marin. Je frappai à l’huis entrebâillé sans qu’aucune réponse ne me parvinsse, tandis que le Marquis flairait les environs, éternuant à plusieurs reprises. Puis, après qu’il eut uriné contre le rideau de velours en levant une patte gauche adroite, d’un regard de concertation complice, nous décidâmes d’entrer.
La pièce était meublée d’un bureau Empire en pire et de ces sortes de meubles où on entasse des livres destinés à prendre la poussière (ah, oui : des bibliothèques, ce qui nous prouve que si elle ne lit pas présentement, l’agente a lu, comme on dit dans les magazines de tuninge), ainsi que de chaises renversées. Connaissant le goût d’Euphoria pour la dignité mobilière, nous nous étonnâmes de ce singulier désordre ; tel n’était pas l’usage de notre égérie, comme disait Tom quand il s’arrêtait un moment pour reprendre son souffle.
Mais d’Euphoria, dans ce cabinet, point.
Ah non ! Elle n’allait tout de même pas nous avoir posé un lapin !

Rageurs, nous fîmes demi-tour, et c’est à cette occasion que nous découvîmes (outre notre aisance avec le passé simple, bientôt à nous le subjonctif à changement de vitesse), tracé sur la porte par laquelle nous avions pénétré la pièce, un dessin géométrique figurant un losange horizontalement allongé, avec en son centre un cercle circonscrit, lui même pointé d’une tache vaguement discale en son milieu. Je m’approchai de cet inquiétant hiéroglyphe dont l’encre rouge n’était pas encore sèche ; le Marquis, lui, s’assit dans un coin avec la collection complète du Journal de Mickey reliée cuir qu’il avait trouvé dans la bibliothèque, entre le Kamasutra et les Mémoires de Sœur Emmanuelle.
“ Bizarre, pensai-je. Je suis inquiet… jamais le Marquis n’aurait de lui-même pensé à s’approcher d’une bibliothèque, fût-elle rose. Avec le  Glock 9mm et le chat du voisin, les livres sont ce qui existe de plus dangereux au monde pour un Marquis comme le mien ; lui, si perméable aux idées, ne manquerait pas d’être atteint de plein fouet par le vaste savoir contenu dans ces tomes (je vous parlais-je point d’égérie, tout à l’heure ?). Quel dramatique cocktail sortirait de ce détonnant shaker ?”

Soucieux, je retournai dans le salon. La cigarette susmentionnée avait fini de se consumer, et je l’observai avec minutie et avec les yeux. Elle comportait des traces de rouge à lèvres côté filtre, et la bague indiquait non seulement la marque, mais aussi le fait qu’il s’agissait d’une cigarette légère.
“ Une fumeuse au régime a kip… kin… a enlevé notre belle Euphoria ! ”, me dis-je in petto mais sans bruit disgracieux. Je glissai l’indice dans ma poche avant de rejoindre le Marquis, écarlate et absorbé dans l’observation du poster central de son journal qui représentait Minnie dans le plus simple appareil en train de cligner de l’œil. J’arrachai le Marquis à cette lecture immorale et nous partîmes tout deux sur les traces des ravisseurs de la ravissante. Je ne sais pas vous, mais j’ai l’impression que les chapitres raccourcissent. Ca doit être le printemps.
Partager cet article
Repost0
15 février 2007 4 15 /02 /février /2007 21:01
CHAPELLE SIXTINE euh... non : CHAPITRE SIXIEME


Or donc, nous arrivâmes enfin au California Palace Hôtel, lieu de résidence temporaire de notre belle Védère. Vénus, pardon. La voiture n'avait pas même eu le temps de finir de s'arrêter que le nain tout de rouge vêtu (vous vous souvenez pourquoi ? Un euro à chaque bonne réponse ; et oui, c'est parce que si son pantalon avait été blanc, on l'aurait confondu avec une borne kilométrique. Suivez un peu, quoi) nous avait déjà ouvert la portière, déroulé le tapis rouge à pois roses, tandis que de l'autre main, il retenait la foule en délire venue admirer les charmes d'Euphoria.

Nous gravissions l'escalier de marbre qui conduisait à la porte à tambours quand une frayeur me prit à la gorge en l'apercevant. Et, comme je m'y attendais, nous ne fûmes que deux dans le hall de l'hôtel. Mon doux Marquis, en effet, était resté dans ce piège diabolique tendu par de sournois et obscurs ennemis de la noblesse dépravée et fabriquée en série à la Consanguinité-sur-Mer. Mon noble compagnon était tout simplement en train de pousser la porte, comme l'aurait fait tout un chacun sur une porte normale. Et figurez-vous qu'il poussait, et poussait sans relâche, attendant de voir devant lui le vide à la place de cette porte. Mais celle-ci, décrivant un mouvement de rotation sans entrave, ne laissait place qu'à elle-même (un peu comme Drucker à la télé). Sauf le respect que je dois aux grands savants qui se sont penchés sur la question, le Marquis avait découvert le secret du mouvement perpétuel. Enfin presque. Car à un moment donné, il fallait bien que cela arrivât, la rotation révolutionnaire, sous l'effet de la colère du Marquis, prenait de la vitesse, entraînant le fait que c'était maintenant la porte qui le poussait... Vite, vite, vite... Enfin, rapidement, quoi. Puis soudain le Marquis fut éjecté, mais comme il n'y a pas de justice en ce monde, non pas à l'intérieur de l'hôtel, mais sur la limousine. Comme quoi la révolution ne sierra jamais à la noblesse.

Sonné par le choc et la partie de manège qu'il venait d'obtenir gratis, il se releva sans grâce, et, regardant pensivement le bout de ses chaussures, vomit sur le beau tapis, provoquant une tache énorme qui ne dépareillait pas du goût douteux de la carpette des grandes occasions. Puis, ragaillardi par cette extériorisation, il repartit, plus décidé que jamais à vaincre tel un Don Quichotte de bazar (non, de Cervantès) ce moulin avant (laissez, j’aime mieux comme ça) des temps modernes. Quand tout à coup, un groom lui fit signe de pénétrer le Palace (ton univers impitoya-ableuh) par derrière. Allait-il se laisser faire sans rien dire, ce Palace qui ne nous connaissait ni d'Eve, ni d'Adam ? Oui, car il disposait d'une entrée de service par laquelle notre ami s'introduisit dans l'hôtel et nous rejoignit.
Euphoria, pendant ce temps, avait récupéré sa clef (et sa dignité, enfin la plus grande partie), et nous nous dirigeâmes en direction de l'ascenseur (ou proviseuse, j'sais plus) qui devait nous élever l'esprit, mais aussi le corps, au cinquante-troisième niveau. Je fis tout de suite le rapprochement entre cet ascenseur et la douce Euphoria, qui elle, nous conduirait, non au cinquante-troisième niveau, mais au septième ciel. Grâce au décompteur sur la paroi de la cabine, le Marquis avait enfin pu apprendre à compter, mais jusqu'à cinquante-trois seulement. Enfin, il y a un début à tout.

Je posai un pied timide, simplet, grincheux, atchoum, prof, joyeux, peureux à l'extérieur de la cabine, lorsque la roue d'un petit véhicule motorisé, style voiture qu'on utilise pour se déplacer sur un green, passa à ça (si, si, à ça, je vous jure) de mon appendice odorifère. Pris de panique (maladie très, très grave du système glandulaire), je me jetai dans les bras du Marquis avec un cri d’orvet. Enfin calmé, je risquai un oeil perçant et une oreille percée dans le couloir. Rien de dangereux à signaler à l'horizon. Il ne s'y trouvait qu'un aimable scout forçant une vieille à traverser le couloir, et plus loin un flic réglant la circulation en prévision du passage d'un convoi exceptionnel. Un petit roquet comme ceux que vous pouvez voir chez le coiffeur sur les genoux de mémères ripolinées et décorées comme une ville de province à l'approche de Noël vidangeait nonchalamment sa délicate vessie, habituée au luxe par gavages successifs et réguliers au Sheba-que-c'est-de-l'arnaque-au-prix-que-ça-coûte (si vous voulez un bon plan pour vous débarrasser de votre belle-mère asthmatique, faites-lui lire tout haut cette phrase trois fois de suite).

Euphoria héla (elle l'a) un "taxi" : "Hep ! Taxi !", et celui-ci nous conduisit au numéro 25 327, aile bleue, couloir rose, casaque orange, à cinq contre un dans la sixième. Dans le chambranle, une porte. Sur la porte, une plaque :
“ Euphoria, espionne. ”
Partager cet article
Repost0
15 février 2007 4 15 /02 /février /2007 08:16
CHAPITRE CINQUIEME

   

Or donc, sa limousine s'avança sur le parvis de la fac, et, ô surprise, celle-ci arborait les magnifiques couleurs de celle de notre rêve ! Un nain tout de rouge vêtu (parce que si le pantalon avait été blanc, on l'aurait confondu avec une borne kilométrique) nous ouvrit la quinzième porte de la voiture, qui donnait sur le salon-bar-piscine. Nous nous installâmes donc confortablement dans les banquettes tendues de soie pourpre. Si le Marquis n'avait pas eu son intellect occupé par l'étude du décolleté d'Euphoria, de se voir ainsi tout entouré de luxe, il se serait exclamé : "Putain ! C'est mieux que sur le catalogue de Monsieur Meuble !" 
Nous ne sentîmes que le léger frémissement du vent ruisselant sur les chromes de la carrosserie lorsque la calèche démarra. On aurait aimé que les chansons de Nolwenn Leroi fussent aussi bruyantes que ce moteur monacal. Nous glissâmes sur l'asphalte poli (car quand on est pas joli, on est poli) et suintant au soleil de ce beau printemps. Nous prenons la première à droite, la troisième à gauche et... enfin bref, vous connaissez Dijon mieux que moi, quand tout à coup Le Marquis sortit de sa torpeur et s'écria : "Chaud-Ouing Goume ! Chaud-Ouing Goume !"

Affolés, voire paniqués (depuis un bout de moment déjà, tout de même) Euphoria et moi tournâmes nos regards dans sa direction. Il s'agitait dans tous les sens, montrant sa bouche grande ouverte d'un index accusateur, exhalant des bouffées fétides et pestilentielles. Relativement habitué au langage primitif (mais démonstratif, ô combien !) du Marquis, je compris après un court instant de réflexion que celui-ci avait envie de chewing-gum. En fait d'envie, nous comprîmes vite qu'il s'agissait bien plus d'un besoin vital et urgent.
Pour nous.

Soudain, nous vîmes sur le bas-côté de la route, la silhouette d'un auto-stoppeur, ouvertement armé d'une rapière menaçante, orné d'un ridicule chapeau à plumes et d'une cape dont même ma grand-mère n'aurait pas voulut. Mais par pure bonté d'âme, nous décidâmes, le Marquis et moi, quand même, de le prendre à bord. Nous hurlâmes au chauffeur de s'arrêter, puis, comme celui-ci s'était exécuté (paix à son âme), nous descendîmes la fenêtre du côté du piéton ; alors qu'on s'apprêtait à lui demander où il voulait qu'on le déposât, nous nous aperçûmes qu'en fait le brave homme nous indiquait seulement la route à suivre pour atteindre la prochaine grande surface, en l'occurrence un Intermarché. Mais nous devions nous méfier tout de même... L'homme semblait étrange, ne bougeait pas ni ne parlait, et avait simplement sur lui ce ridicule manteau orange et un écriteau "Intermarché-2km" à la place de sa virilité... Il refusait dans un mutisme insultant de monter en voiture. Tant pis pour lui ; nous indiquâmes la route à suivre au chauffeur et roulâmes vers la salvatrice surface de distribution à grande échelle.

Notre chauffeur, tout récemment diplômé de la Grande-Ecole-des-Grands-Chauffeurs-des-Grandes-Voitures-sur-les-Grandes-Routes éprouva de telles difficultés à circuler dans ces toutes petites allées que nous dûmes sacrifier cinq enjoliveurs, deux ailes, trois pots d'échappement, trente-quatre rétroviseurs et comble du comble, la piscine toute pimpante fut percée lorsque nous roulâmes sur le parapluie d'une vieille (que l'on ne retrouva jamais d'ailleurs, ni le parapluie, ni la vieille).Il faut dire que la manœuvre n'était pas des plus aisées, autant demander à King Kong de mettre des bigoudis à Mimi Mathy.

Tel un joyeux bambin sur le parking de Disneyland, Le Marquis bondit de la voiture et se précipita dans un caddie. "Vas-y mon Duc pousse-moi !". A quelques pas de là, Euphoria nous regardait stupéfiée (pourtant elle ne se droguait pas).
Je ne sais pas pourquoi, mais je pilote toujours le caddie qui a une roue bloquée et qui tend à droite. Personnellement je pense pour moi-même qu'une feuille de salade n'a pas sa place sur une roue de chariot (N.B. : c'est moins pire que sur le fauteuil d'un myopathe, on serait obligé d'inviter Nicolas le Jardinier au Téléthon...déjà qu'on a Gérard Holtz comme nain de jardin !). 

C'est magique, les portes s'ouvrent toutes seules et se referment pareillement (et se rerouvrent et se rereferment et se rererouvrent et se rerereferment pareillement). Après avoir amusé Le Marquis une demi-heure avec cette satanée porte, nous entrons dans cette immense bibliothèque où les livres sont remplacés par du chocolat, des bonbons Haribo-c'est-bon-c'est-bo, et des chewing-gum-qui-collent-aux-dents...

On y rencontre plein de gens intéressants. Ici, toutes les classes sociales se côtoient au milieu des boîtes de cassoulet toulousain, des pots de beurre à zéro pour cent de matière grasse, des fromages qui puent et des caissières qui suent. Qu'ils soient patrons, ménagères, étudiants ou ouvriers, ils en sont tous de gros cons qui se rassemblent le samedi après-midi pour remplir de vivres leurs frigos et leurs placards. Juste assez pour une semaine ; comme cela le ballet des caddies peut recommencer toutes les semaines à l'infini. On n'aime pas y venir alors on fait la course dans les allées pour ne pas perdre de temps. On ne choisit pas ce qu'on prend, on suit cette meute sauvage d'obèses affamés et comme tous les autres, on mange des plats déjà faits. Et on se retrouve tous ensemble et en même temps dans la file d'attente d'une caisse qui, quoiqu'il arrive, sera toujours plus lente que celles juxtaposées. Et quand on a payé, c'est pas encore fini. Il faut tout (trans)porter dans le coffre de la voiture et c'est pas le plus facile avec ces putains de sac à trois centimes qui craquent toujours et permettent à ces si bons yaourts de se répandre sur ce bitume dégueulasse.

Pour quitter ce lieu maudit plus rapidement, Le Marquis vola son paquet de Stimorole-les-dents-qui-collent. Euphoria nous attendait, paisiblement installée à écouter du Rondo Veneziano au rayon charcuterie. Enfin, épuisés par cette folie collective, nous quittons ce grand magasin, jurant (mais un pétard) que nous ne deviendrions jamais comme ces autres.

L'haleine du Marquis rafraîchie, nous pûmes repartir dans notre carrosse sur cette (trop) longue route qui devait nous mener à l'humble demeure de notre compagne de fortune.
Partager cet article
Repost0
14 février 2007 3 14 /02 /février /2007 21:49
CHAPITRE QUATRIEME (on vous avait prévenus)




Or donc, à un moment, dans ce cours, toutes les têtes de l'amphi se tournèrent vers nous, et restèrent ainsi, au grand dam du prof, jusqu'à la fin. Nous étions au fond, près de la porte, ce qui nous permit de sortir assez rapidement, cependant bien vite suivis par les étudiants présents. On se réfugia alors dans les toilettes, toutes proches, s'enfermant dans l'intimité. Il faut dire qu'avec Euphoria, on était mal à l'aise, comme ça, si proches dans ce lieu dégueulasse. Nous n'avions rien à dire, perdus dans la contemplation de son beau visage, et ce fut elle qui rompit le silence :
"Mais, au fait, où habitez-vous ?
Nous nous regardâmes, le Marquis et moi, sûrs qu'au fond de chacun de nos yeux se trouvait le même rêve...
"Nous habitons un modeste palais du côté de Gevrey-Chambertin, au milieu des vignes dont nous sommes les principaux propriétaires. Nous y allons ?
- Avec plaisir !"

*
*   *

Décidément, j’adore ces petites étoiles. On se croirait dans un laboratoire d’astronomie, c’est d’un poétique, bordel ! Bref.

Notre puissant cabriolet vert et mauve à motifs floraux orange (original, non ?), 3243134521324 chevaux (sous le capot) et des poussières (dans le coffre), arriva devant la grille d'argent forgé de notre imposante demeure. Les battants étaient ornés de poignées en or représentant une Aphrodite dans son plus simple appareil. Ses jambes, une sur chaque battant, s'écartèrent sous l'effet d'une simple pression nonchalante de la main moite du Marquis sur la touche rouge (le Marquis a du mal avec les couleurs secondaires ; le rouge, c'est pour ouvrir, le bleu pour fermer, et le jaune pour tirer la chasse, tandis que le blanc est sur son nez) de la télécommande prévue à cet effet. Vous avez remarqué le point ? Ca faisait longtemps qu'on n'en avait pas vu !
La voiture roula au pas à travers le jardin. A droite, les trois cent cinquante jardiniers interrompirent leur ouvrage, à savoir la sculpture d'un séquoia géant à notre effigie, pour nous saluer bas. A gauche, les huit cent soixante-trois viticulteurs s'occupaient à recueillir le fruit sacré que nous faisions pousser sous serre afin d'avoir la primeur du marché, suivant le fameux adage : "qui récolte raisin au printemps, ramasse le blé des concurrents".

Surgissant des bois nous apparut le palais marmoréen surplombant la réplique exacte et à l'échelle des Chutes du Niagara (à mon humble avis, j'aurais préféré avoir en surplomb la Chute de Reins de la chanteuse du groupe du même nom). Pour contourner la cataracte, nous empruntâmes l'hélicoptère du gardien (qui ne sert qu'à ça ; pas le gardien, l'hélico), qui le tenait lui-même de Springfellow Hawk (en français dans le texte).

C'est à ce moment que nous aperçûmes l'un de nos plus fidèles serviteurs s'échapper à grands cris de notre humble résidence, nu avec pour lui servir de slip la bouche d'une soubrette, suivie elle-même du reste de son corps, lui-même étant très attaché aux autres domestiques par des liens affectifs et dégoulinants, formant ainsi la chaîne orgiaque, symbole de la vie quotidienne au château. Tout ce petit monde hurlait et se trémoussait, non sous l'effet auquel on pense, mais sous celui des flammes que l'accessoiriste de La Tour Infernale avait accepté de nous prêter pour étoffer l'intrigue de notre oeuvre.

Arrivant au pied du palais, je me jetai hors de l'hélicoptère afin, en fier David, de combattre le Goliath infernal. Je reçus à ce moment un brandon enflammé sur ma superbe chevelure, qui s'embrasa aussitôt. D'un bond rapide et félin, je m'élançai tel la gazelle des steppes africaines chères à Hemingway, la tête la première dans les Chutes, faisant pied de nez aux saumons qui eux, comme des cons, essayaient de remonter.

A cet instant, une main secourable, louée soit-elle, me sortit la tête de l'eau. Avec une stupeur suffocante, je me rendis compte que j'avais rêvé : le feu de mon songe n'était que la flamme du briquet que me tendait Euphoria pour allumer ma cigarette et qui avait bouté le feu à mes cheveux encombrants, ma chute dans les humides abîmes n'était autres que la tentative du Marquis pour m'éteindre en me plongeant la tête dans le trou des gogues.


*
*   *


"Non, j'déconne ! Nous habitons en fait un clapier banlieusard de trois mètres carrés comme tout étudiant moyen...
- Bon... ben... on va chez moi, alors", répondit-elle, cruelle. Nous la Suivîmes, Dociles. Fragiles.
Partager cet article
Repost0
14 février 2007 3 14 /02 /février /2007 09:04
 CHAPITRE TROISIEME


Mais l'heure avançait à grands pas vers le "3" fatidique marquant le moment du cours de Littérature de Mr Sadard auquel nous nous devions d'assister. Terrassés à l'idée de la quitter, nos visages montraient le voile de désespoir qui couvraient notre âme jusqu'en son tréfond (oui, normalement c’est au pluriel, mais vu l’âme susdite, le singulier convient) ; mais elle, dans un sourire radieux, lança l'idée de nous accompagner à ce cours. Nous acceptâmes avec une joie immense sa proposition, avec dans la tête l'espoir fou qu'elle acceptât en retour celle qu'on avait tous deux, le Marquis et moi-même, rêvé de lui soumettre.

Mais concentrons nous plutôt sur le cours :
"Prenons maintenant une phrase : "Jusqu'au soir, on mangea." ; d'abord, un petit jeu stupide : d'après vous, qui l'a écrite, mmh ? Bien, c'est effectivement Flaubert, dans Madame Bovary. Cette phrase est-elle une vraie phrase ? Non. Là, Flaubert nous dit : "je ne cause pas, Monsieur, j'écris.". C'est une phrase préfabriquée, artificielle, pensée ; c'est de la littérature. Et tout ce qui fait cette littérature, c'est bien sûr ce style particulier qui ne souffre pas l'oralité, mais aussi ce que l'auteur a voulu faire passer ; pour bien lire du Flaubert, il faudrait remplacer chaque signe de ponctuation par une insulte. Oh, pas une grosse injure : juste quelque chose de méprisant et de correct, du genre "pauvre crétin", ou approchant. A l'inverse de Rimbaud, où là c'est carrément par "sale con", "petite pute", toute grossièreté intolérable de vulgarité et de haine, qu'il convient de reponctuer le texte. Et à propos de Rimbaud, voici un extrait tiré de Une Saison en Enfer..."

Bon, vous avez raison, concentrons nous plutôt sur l'amphi : le prof, Sadard, vieillard à genoux sur le bureau (les hémorroïdes, maladie professionnelle de qui a par trop tendance à se tenir sur son cul, devaient le miner, sans doute), tenait son micro bien serré dans ses deux mains, tel une corde suspendue dans le vide, condition de sa survie dans ce milieu hostile : s'il la lâche, il tombe, et c'est la mort. Lui, pauvre petit être perdu au milieu de la foule sauvage et sans pitié des étudiants, n'avait, pour faire face à la horde, que sa voix, amplifiée dans les enceintes parsemées aux cinq coins (je sais, ça fait bizarre) de l'amphi. Cette voix criarde, féminine, presque, aurait dans n'importe quelle circonstance, fait sourire chacun de ses interlocuteurs. Mais là, en quinquaphonie, artificielle, elle semblait surgir de partout à la fois, forçant le respect et l'intérêt. De féminin, Sadard n'avait pas que la voix, et il était de notoriété publique qu'il n'avait pas eu sa dose de chromosome Y dans sa carte génétique, un peu comme un casier judiciaire où en gros serait imprimé "Plus Que Vierge". Son cours, pourtant digne d'attention ne nous mettait pas le cœur à l'ouvrage : essayez donc de prendre des notes une heure durant sous les yeux aimants d'un ange - en version humaine parce que les ailes et l'auréole, ça aurait choqué, quand même.

Nous nous mîmes donc en devoir de présenter à la charmante les particularités d'une section entière d'étudiants en Lettres (applicable à n'importe quel troupeau d'apprentis intellectuels, pour peu que cela soit dans une fac). Les premiers rangs sont composés d'êtres à part. Avides, arrivistes, ils jouent avec la connaissance comme un riche homme d'affaire avec l'argent. Ils spéculent sur le savoir, en font leur métier, et quel métier ! Ce sont les ouvriers de l'intellect, s'abrutissant sur un ouvrage à la chaîne, transformant la connaissance en vulgaire bien de consommation. Ce sont des prêtres se complaisant par égoïsme et par goût du tape-à-l'oeil dans leur ascétisme et leur pédanterie snobinarde. Derrière leurs lunettes se cachent des yeux vides, car ce n'est pas là qu'est leur âme, mais dans la poubelle où ont enfin été jetées les superstitions et les fanatismes. Prêts à tout pour arriver à leur fin, le prof est leur dieu, absolu, unique, au moins pour une heure. Modèles de comportement, si parfaits qu'ils en sont anormaux, ils agissent pour et par ce culte du savoir et de l'enseignant, et en partant du fait d'aller chercher un craie, jusqu'au fait de cirer les pompes de la divinité, tout est une prière muette pour l'acceptation de leur âme au Panthéon. Au fond, ils ressemblent aux membres d’Al Qaïda, des fanatiques bêtes et méchants (car en plus ils sont sournois, même entre eux... surtout entre eux) qui se sont suicidés, d'abord par leur appartenance à ce "milieu", ensuite par leur profond malheur. Jeunes, ils sont déjà vieux, de vieux cons qui sont prêts à mourir pour apprendre, sans se rendre compte qu'ils sont déjà morts. Leur non-vie n'est qu'un symbole de la postérité (non, c'est pas la fabrication de posters).

Dans les rangs du milieu, ce sont des gens si normaux qu'ils en sont désespérément moyens ; ils sont effrayants, peut-être plus que ceux du premier rang (peut-être parce qu'on les voit de plus près !). Le milieu, c'est l'apologie de la médiocrité et de l'anonymat. Ils sont les plus nombreux, et pourtant ils ne sont qu'un. Ce sont le même individu. On ne voit qu'une tête ; futurs militaires, va ! Ils s'acharnent sur leurs études comme un chien sur un os inaccessible. Car ils n'arriveront nulle part. Car on ne peut pas appeler "quelque part" une école de campagne où on essaie d'enseigner les "Belles Lettres" aux paysans dont le vocabulaire s'arrête au champ lexical agricole. Ils finiront dans un milieu, dans une vie, avec un mari ou une femme semblable à leur âme : moyenne,   médiocre ; on n'a que ce qu'on mérite. Le milieu n'est là que parce qu'il en faut un entre le début et la fin ; ils sont les meubles, ceux qui sont là pour remplir l'amphi, leur fonction et leur vie se résume à un trait d'union, infime insignifiance. Ils n'ont rien à faire en fac, car la fac ne supporte pas la moyenne ; elle est extrême dans toute sa splendeur et ne mérite que des premiers, ou des derniers rangs...

Tiens, parlons-en, de ceux-là : qu'ils soient fainéants, abrutis chanceux, je-m'en-foutistes, sportifs, artistes, qu'ils se soient gourés de filière, de cours, qu'ils soient forcés, d'une manière ou d'une autre, par leurs parents à faire des études longues (liste non exhaustive, rajoutez-en, vous verrez, c'est très amusant), ils ont tous un point commun. Ils sont là et donnent vie à l'amphi. L'amphi est leur domaine, leur royaume (car les fainéants sont rois, c'est bien connu), c'est pour eux plus qu'un endroit, c'est un foyer. "Le fond", c'est-à-dire le haut, est la seule place digne de leur personne : ils se font surplombants, méprisants, superbes, guettant chaque faux-pas du guignol qui s'agite tout en bas, sur son bureau, pour envoyer leurs réflexions acerbes, acides, critiques... Seuls ceux du fond méritent un nom, et voyez que les filles ont bien compris cela... Où se trouvent les plus sûres de leur beauté ? Elles savent bien que ces cancres sauront faire leur bonheur ; quant à celles qui soit se sous-estiment physiquement, soit sont de vrais thons authentiques, c'est au milieu (par jalousie cachée), ou devant (par dépit, n'ayant que le savoir comme amant qui daigne les accepter dans sa couche) qu'on les trouve. La caractéristique commune des gens du fond est d'avoir la gueule toujours grande ouverte ; et là on voit déjà poindre deux camps : il y a ceux qui l'ouvrent connement, à l'aveuglette, parce que quand on est au fond, il faut parler fort -des ânes ; ils ne m'intéressent pas plus que les premiers rangs. Et puis il y a ceux qui y sont par vocation (au contraire des premiers, qui eux sont là par nécessité).Cette vocation du fond est un appel, tout puissant, comme celle de la mer pour un marin. C'est une destinée incontournable ; leur sagesse, car ils en possèdent une, comme tout le monde, est une sagesse de la résignation et de l'assouvissement. Ceux-là, sans pour autant être les plus instruits, sont sans doute les plus intelligents de cet amphi. C'est pour ça qu'ils sont arrivés jusque là. Ils ne travaillent pas ou peu, et réussissent. C'est là leur défaut, car ils s'emmerdent joyeusement partout où ils voient les représentants de la race humaine qui ne font pas partie de leur catégorie. Cela les rend détestables. Ils provoquent envie, jalousie, haine, par leur seule présence. On les sent, comme les flics... On sent bien que ces gens-là ont retiré leur épingle du jeu ; quel que soit l'argument qu'on puisse opposer à cela, ils ne sont tributaires de personne. Tout glisse sur eux... insultes, menaces, conseils, qui s'en soucie ? Ils ont une étrange capacité à ne profiter que d'eux-même. Et pourtant, ce sont eux les plus sensibles car l'idée de valeur leur est étrangère. Ils aiment profondément l'humain dans leur dédain, comme des fonctionnaires de la D.D.A.S.S. pour les enfants... Cette ambiguïté les rend seuls, même entre eux, malheureux de n'avoir en retour de cet amour que cette envie, cette jalousie, cette haine. Enfin, s'il y a de grandes choses à accomplir, ce sera leur nom qu'on retrouvera sur les monuments. Ils sont en quelque sorte l'aristocratie de la fac, car l'esprit de celle-ci est contre toute apparence profondément monarchique, et tous les Mai 68 du monde n'y changeront rien. On pourrait voir dans les premiers rangs le Clergé, le "modèle", instigateur d'un obscurantisme calculé, au milieu le Tiers-Etat, la "pauvreté de l'âme et de l'esprit", et au fond la Noblesse. J'en voit déjà qui salivent à l'idée de faire partie des nobles cancres... Pauvres cons ! L'Histoire ne vous a rien appris, alors ? C'est pas le pauvre paysan qui a été décapité en 1789, ce sont ces connards de particulés, et même les grands révolutionnaires y sont passés. Car ce sont ceux qui ont des idées qui meurent les premiers.

Vains dieux, c'était un passage vachement sérieux, dites donc... Allez, suivez-nous jusqu'au chapitre quatrième, on va arranger ça.
Partager cet article
Repost0